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Книга «Письмо незнакомки» (Lettre d'une inconnue) на французском языке, Стефан Цвейг – читать онлайн

Новелла «Письмо незнакомки» (Lettre d'une inconnue) на французском языке – читать онлайн, автор – Стефан Цвейг. Книга «Письмо незнакомки» (Lettre d'une inconnue) была написана в 1922-м году; это достаточно известная новелла Цвейга, и вместе с другими его произведениями была переведена на многие самые распространённые языки мира (в том числе и на французский). Позже по сюжету книги «Письмо незнакомки» были сняты фильмы в разных странах (у нас на сайте есть фильм «Письмо незнакомки» на французском языке в разделе «Фильмы онлайн»).

Другие произведения самых известных писателей всего мира можно читать онлайн в разделе «Книги на французском языке». Для детей будет интересным раздел «Сказки на французском языке».

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Теперь переходим к чтению новеллы Стефана Цвейга «Письмо незнакомки» (Lettre d'une inconnue) на французском языке. На этой странице выложен первый фрагмент новеллы, а ссылка на продолжение книги «Письмо незнакомки» (Lettre d'une inconnue) будет в конце статьи.

 

Lettre d'une inconnue

 

R..., romancier renommé, rentrait à Vienne de bon matin, tout ragaillardi après une excursion de trois jours dans la montagne. Il acheta un journal à la gare; ses yeux tombèrent sur la date, et il se rappela aussitôt que c'était celle de son anniversaire. «Quarante et un ans», songea-t-il, et cela ne lui fît ni plaisir ni peine. Il feuilleta sans s'arrêter les pages crissantes du journal, puis il prit un taxi et rentra chez lui.

Son domestique, après lui avoir appris que pendant son absence il y avait eu deux visites et quelques appels téléphoniques, lui apporta son courrier sur un plateau. Le romancier regarda distraitement les lettres et ouvrit rapidement quelques enveloppes dont les expéditeurs l'intéressaient. Il mit provisoirement de côté une lettre dont l'écriture lui était inconnue et qui lui semblait trop volumineuse. Le thé était servi; il s'accouda commodément dans son fauteuil, parcourut encore une fois le journal et quelques imprimés; enfin il alluma un cigare et prit la lettre mise de côté. C'étaient environ deux douzaines de pages hâtives, d'une écriture agitée de femme, un manuscrit plutôt qu'une lettre. Il tâta machinalement l'enveloppe pour voir s'il n'y avait pas laissé quelque lettre accompagnant l'envoi. Mais l'enveloppe était vide et elle ne portait pas plus que la lettre elle-même une adresse d'expéditeur ou une signature. «C'est étrange», pensa-t-il, et il reprit les feuilles. Comme épigraphe ou comme titre, le haut de la première page portait ces mots: A toi qui ne m'as jamais connue. Il s'arrêta étonné. Cela s'adressait-il à lui? A un être imaginaire? Sa curiosité s'éveilla et il se mit à lire.

***

«Mon enfant est mort hier; trois jours et trois nuits, j'ai lutté avec la mort pour sauver cette petite et frêle existence; pendant quarante heures, je suis restée assise à son chevet, tandis que la grippe secouait son pauvre corps brûlant de fièvre. J'ai rafraîchi son front en feu; j'ai tenu nuit et jour ses petites mains fébriles. Au troisième soir, je me suis écroulée. Mes yeux n'en pouvaient plus; ils se fermaient d'eux-mêmes à mon insu. C'est ainsi que je suis restée trois ou quatre heures endormie sur ma chaise, et, pendant ce temps, la mort a pris mon enfant. Maintenant il est là, le pauvre et cher petit, dans son lit étroit, tout comme au moment de sa mort; seulement, on lui a fermé les yeux, ses yeux sombres et intelligents; on lui a joint les mains sur sa chemise blanche, et quatre cierges brûlent aux quatre coins du lit.

«Je n'ose pas regarder; je n'ose pas bouger car, lorsque la lumière vacille, des ombres glissent sur son visage et sur sa bouche close, il me semble que ses traits s'animent et je pourrais croire qu'il n'est pas mort, qu'il va se réveiller et, de sa voix claire, me dire quelques mots de tendresse enfantine. Mais, je le sais, il est mort, et je ne veux plus regarder, pour n'avoir plus à espérer et pour ne pas être une nouvelle fois déçue. Je le sais, je le sais, mon enfant est mort hier ; maintenant, je n'ai plus que toi au monde, que toi qui ne sais rien de moi et qui, à cette heure, joues peut-être, sans te douter de rien, ou t'amuses avec les hommes et les choses. Je n'ai que toi, toi qui ne m'as jamais connue et que j'ai toujours aimé.

«J'ai pris le cinquième cierge et je l'ai posé sur la table sur laquelle je t'écris. Car je ne peux pas rester seule avec mon enfant mort, sans crier de toute mon âme. Et à qui pourrais-je m'adresser, à cette heure effroyable, sinon à toi, toi qui as été tout pour moi et qui l'es encore?

«Je ne sais si je m'exprime assez clairement, peut-être ne me comprends-tu pas? Ma tête est si lourde; mes tempes battent et bourdonnent; mes membres me font si mal. Je crois que j'ai la fièvre; et peut-être aussi la grippe, qui maintenant rôde de porte en porte, et cela vaudrait mieux, car ainsi je partirais avec mon enfant, et je ne serais pas obligée d'attenter à mes jours. Un voile sombre passe par moments devant mes yeux; peut-être ne serai-je même pas capable d'achever cette lettre; mais je veux rassembler toutes mes forces pour te parler une fois, rien qu'une fois, ô mon bien-aimé, toi qui ne m'as jamais connue.

«C'est à toi seul que je veux m'adresser; c'est à toi que, pour la première fois, je dirai tout; tu connaîtras toute ma vie, qui a toujours été à toi et dont tu n'as jamais rien su. Mais tu ne connaîtras mon secret que lorsque je serai morte, quand tu n'auras plus à me répondre, quand ce qui maintenant fait passer dans mes membres à la fois tant de glace et tant de feu m'aura définitivement emportée. Si je dois survivre, je déchirerai cette lettre, et je continuerai à me taire, comme je me suis toujours tue. Mais, si elle arrive entre tes mains, tu sauras que c'est une morte qui te raconte sa vie, sa vie qui a été à toi de sa première à sa dernière heure. N'aie pas peur de mes paroles: une morte ne réclame plus rien; elle ne réclame ni amour, ni compassion, ni consolation. La seule chose que je te demande, c'est que tu croies tout ce que va te révéler ma douleur qui se réfugie vers toi. Crois tout ce que je te dis, c'est la seule prière que je t'adresse; on ne ment pas à l'heure de la mort de son unique enfant.

«Je veux te révéler toute ma vie, cette vie qui véritablement n'a commencé que du jour où je t'ai connu. Auparavant, elle n'était que trouble et confusion, et mon souvenir ne s'y replongeait jamais; une sorte de cave où la poussière et les toiles d'araignée recouvrent des objets et des êtres aux vagues contours et dont mon coeur ne sait plus rien. Lorsque je t'ai connu, j'avais treize ans, et j'habitais dans la maison que tu habites encore, dans cette maison où tu tiens maintenant entre tes mains cette lettre, mon dernier souffle de vie; j'habitais sur le même palier, dans l'appartement en face du tien. Tu ne te souviens certainement plus de nous, de la pauvre veuve d'un fonctionnaire des finances (elle portait toujours le deuil) et de l'enfant maigre et à peine formée que j'étais alors; nous vivions tout à fait retirées et comme perdues dans notre médiocrité de petites gens. Tu n'as peut-être jamais connu notre nom, car il n'y avait pas de plaque sur notre porte, personne ne venait nous voir, personne ne nous demandait. Il y a si longtemps déjà, quinze à seize ans! Certainement tu ne te le rappelles plus, mon bien-aimé; mais moi, oh! je me souviens passionnément du moindre détail; je sais encore, comme si c'était hier, le jour et même l'heure où j'entendis parler de toi pour la première fois, où pour la première fois je te vis, et comment en serait-il autrement puisque c'est alors que l'univers s'est ouvert pour moi? Permets, mon bien-aimé, que je te raconte tout, tout depuis le commencement; daigne, je t'en supplie, ne pas te lasser d'entendre parler de moi pendant un quart d'heure, moi qui, toute une vie, ne me suis pas lassée de t'aimer.

«Avant ton arrivée dans notre maison, habitaient derrière ta porte de méchantes gens, mauvais et querelleurs. Pauvres comme ils étaient, ce qu'ils détestaient le plus, c'étaient leurs voisins indigents, nous-mêmes, parce que nous ne voulions rien avoir de commun avec leur grossièreté de pauvres sans dignité. L'homme était un ivrogne; il battait sa femme; souvent nous étions réveillés en pleine nuit par le bruit des chaises jetées violemment à terre et par le cliquetis des assiettes brisées; une fois, la femme, frappée jusqu'au sang, les cheveux en désordre, se précipita dans l'escalier; l'ivrogne cria derrière elle jusqu'à ce que d'autres voisins sortent de leurs appartements pour le menacer d'aller chercher la police. Ma mère avait, dès le premier jour, évité toute relation avec eux, et elle me défendait de parler aux enfants, qui se vengeaient sur moi en toute occasion. Quand ils me rencontraient dans la rue, ils me poursuivaient de mots orduriers, et un jour ils me frappèrent avec de grosses boules de neige, si dures que mon front en fut ensanglanté. Toute la maison haïssait d'un instinct unanime ces gens-là, et lorsqu'un jour ils eurent une histoire fâcheuse — je crois que l'homme fut emprisonné pour vol — et qu'ils durent vider les lieux, le soulagement fut général. Pendant quelques jours l'écriteau de location fut accroché à la porte de la maison, puis il fut enlevé, et on apprit vite par le concierge qu'un écrivain, un monsieur seul et tranquille, avait pris l'appartement. C'est alors que j'entendis prononcer ton nom pour la première fois.

«Au bout de quelques jours, vinrent des peintres, des décorateurs, des plâtriers, des tapissiers, pour remettre en état l'appartement quitté par ses crasseux occupants; ce n'étaient que coups de marteau, bruits d'outils, de nettoyage et de grattage; mais ma mère s'en réjouissait, car elle disait qu'enfin les scènes de ménage et le vacarme étaient bien finis. Toi-même, je ne t'aperçus pas de tout le temps que dura le déménagement: tous les travaux étaient surveillés par ton domestique, ce domestique si stylé, petit, sérieux, et aux cheveux gris, qui dirigeait tout de haut avec des manières posées et assurées. Il nous en imposait à tous grandement, d'abord parce que, dans notre maison de faubourg, un domestique de grande allure, sentant le grand monde, était quelque chose de tout nouveau, et ensuite parce qu'il était extrêmement poli envers chacun, sans cependant se commettre avec la valetaille et la traiter en camarade. Dès le premier jour, il salua respectueusement ma mère comme une dame, et même envers moi, qui n'étais qu'une gamine, il se montrait toujours affable et très poli. Lorsqu'il prononçait ton nom, c'était avec une certaine révérence, une considération particulière: on se rendait compte aussitôt qu'il t'était attaché bien plus que les serviteurs ne le sont habituellement à leurs maîtres. Ah! comme je l'ai aimé pour cela, le bon vieux Jean, bien que je l'eusse envié d'être toujours autour de toi et de te servir!

«Je te raconte tout cela, mon bien-aimé, toutes ces petites choses, ridicules presque, pour que tu comprennes comment, dès le début, tu as pu acquérir une telle autorité sur l'enfant craintive et timide que j'étais. Avant même que tu fusses entré dans ma vie, il y avait autour de toi comme un nimbe, comme une auréole de richesse, d'étrangeté et de mystère: tous, dans la petite maison de faubourg (ceux qui mènent une vie étroite sont toujours curieux de toutes les nouveautés qui passent devant leur porte), nous attendions impatiemment ton arrivée. Et cette curiosité que tu m'inspirais, combien ne s'accrut-elle pas en moi lorsque, un après-midi, rentrant de l'école, je vis devant notre maison la voiture de déménagement! La plupart des meubles, les plus lourds, avaient déjà été acheminés à l'intérieur de l'appartement, et c'était maintenant le tour des objets plus légers. Je m'arrêtai sur le seuil pour pouvoir tout admirer, car tout ton mobilier était pour moi étrange; je n'en avais jamais vu de semblable: il y avait là des idoles hindoues, des sculptures italiennes, de grands tableaux resplendissants, puis, pour finir, vinrent des livres, si nombreux et si beaux que je n'aurais pu imaginer rien de pareil. On les entassait tous sur le seuil et là le domestique les prenait un à un et les époussetait soigneusement avec un plumeau.

«Je rôdais avec curiosité autour de la pile, qui grandissait toujours; le domestique ne me repoussa pas, mais il ne m'encouragea pas non plus, de telle sorte que je n'osai en toucher aucun, bien que j'eusse aimé palper le cuir moelleux de plus d'un. Je ne pus que jeter un regard timide sur les titres; il y avait parmi eux des livres français, anglais, et beaucoup d'autres dans des langues qui m'étaient inconnues. J'aurais pu passer des heures à les contempler ainsi, mais ma mère m'appela.

«Toute la soirée je fus forcée de penser à toi, avant même de t'avoir vu. Je ne possédais, moi, qu'une douzaine de livres bon marché et recouverts de cartonnages usés, que j'aimais par-dessus tout et que je relisais sans cesse; dès lors l'idée m'obséda de savoir à quoi pouvait ressembler cet homme qui possédait et qui avait lu cette multitude de livres si beaux, qui connaissait toutes ces langues, qui était à la fois si riche et si savant. Une sorte de respect surnaturel s'unissait pour moi à l'idée de tant de livres. Je cherchais à me représenter ta physionomie. Je te voyais sous l'aspect d'un homme âgé, avec des lunettes et une longue barbe blanche, semblable à notre professeur de géographie, seulement bien plus aimable, bien plus beau et plus doux; je ne sais pourquoi j'en étais alors déjà certaine, mais tu devais être beau, même quand je pensais à toi comme à un homme âgé. Cette nuit-là, et sans te connaître encore, j'ai rêvé de toi pour la première fois.

«Le lendemain, tu pris possession de l'appartement, mais j'eus beau te guetter, je ne pus pas t'apercevoir, ce qui ne fit qu'accroître ma curiosité. Enfin, le troisième jour, je te vis, et combien ma surprise fut profonde de constater que tu étais si différent de ce que j'avais cru, sans aucun rapport avec l'image de Dieu le Père que je m'étais puérilement figurée! J'avais rêvé d'un bon vieillard à lunettes, et c'était toi, toi, tout comme tu es aujourd'hui encore, toi l'immuable, sur qui les années glissent sans l'atteindre! Tu portais une seyante tenue de sport, brun clair, et de ton pas agile et juvénile, tu montais en courant l'escalier, en prenant les marches deux par deux. Tu avais ton chapeau à la main, et c'est ainsi qu'avec un étonnement indescriptible je découvris ton visage plein de vie et de clarté, ta chevelure d'adolescent: véritablement je tressaillis de surprise en voyant combien tu étais jeune, charmant, souple, svelte et élégant. Et ce n'est pas étonnant: dès cette première seconde, j'éprouvai très nettement ce que tout le monde éprouve à ton aspect, ce que l'on sent d'une manière unique et avec une sorte de surprise. Il y a en toi deux hommes: un jeune homme ardent, gai, tout entier au jeu et à l'aventure, et en même temps, dans ton art, une personnalité d'un sérieux implacable, fidèle au devoir, infiniment cultivée et raffinée. Je sentis d'instinct ce que chacun devina en te connaissant: que tu mènes une double vie, une vie dont une face claire est franchement tournée vers le monde, tandis que l'autre, plongée dans l'ombre, n'est connue que de toi seul. Cette profonde dualité, le secret de ton existence, l'enfant de treize ans que j'étais alors, magiquement fascinée par toi, l'a sentie au premier regard.

«Tu comprends, mon bien-aimé, quelle merveille, quelle séduisante énigme tu étais pour moi — pour moi, une enfant. Un être que l'on vénérait, parce qu'il écrivait des livres, parce qu'il était célèbre dans le grand monde — le découvrir tout à coup sous les traits d'un jeune homme de vingt-cinq ans, élégant et d'une gaieté de petit garçon? Dois-je te dire qu'à partir de ce jour-là, dans notre maison, dans tout mon pauvre univers d'enfant, rien ne m'intéressa plus, si ce n'est toi, et que, avec tout l'entêtement et toute l'obsédante ténacité d'une fillette de treize ans, je n'eus plus qu'une seule préoccupation, être tournée vers ta vie, vers ton existence! Je t'observais, j'observais tes habitudes, j'observais les gens qui venaient chez toi; et tout cela, au lieu de diminuer la curiosité que tu m'inspirais, ne faisait que l'accroître, car la complète ambiguïté de ton être s'exprimait parfaitement dans la diversité de ces visites. Il venait de jeunes hommes, tes camarades, avec lesquels tu riais et tu étais exubérant, des étudiants à la mise modeste, et puis des dames qui arrivaient dans des automobiles... une fois même le directeur de l'Opéra — le grand chef d'orchestre que je n'avais aperçu que de loin, à son pupitre, et dont la vue m'emplissait de respect — et puis aussi de petites gamines qui suivaient encore des cours de secrétariat et qui se glissaient avec embarras à travers la porte: en somme, beaucoup de femmes. Cela ne signifiait pour moi rien de particulier, même lorsque, un matin, partant pour l'école, je vis sortir de chez toi une dame voilée: je n'avais que treize ans, et la curiosité passionnée avec laquelle je t'épiais et te guettais ne savait pas, en l'enfant que j'étais, être déjà de l'amour.

«Mais je connais aujourd'hui encore exactement, mon bien-aimé, le jour et l'heure où je m'attachai à toi entièrement et pour toujours. J'avais fait une promenade avec une camarade de classe, et nous étions en train de parler devant la porte. Une automobile arriva; elle s'arrêta et, avec ton allure impatiente et comme élastique, qui me ravit aujourd'hui encore, tu sautas du marchepied et tu te dirigeas vers la porte. Je ne sais quelle puissance inconsciente me poussa à aller t'ouvrir; je me retrouvai sur ton passage; nous nous heurtâmes presque. Tu me regardas de ce regard chaud, doux et enveloppant qui était comme une caresse; tu me souris d'un sourire que je ne puis qualifier autrement que de tendre, et tu me dis d'une voix douce et presque familière: “Merci beaucoup, mademoiselle.”

«Il n'en fallut pas plus, mon bien-aimé. Mais, depuis cette seconde, depuis que j'eus senti sur moi ce regard doux et tendre, je fus tout entière à toi. Je me suis rendu compte plus tard — bien rapidement certes — que ce regard qui embrasse, ce regard qui attire comme un aimant, qui à la fois vous enveloppe et vous déshabille, ce regard du séducteur-né, tu le prodigues à toute femme qui passe près de toi, à toute vendeuse qui te sert dans un magasin, à toute servante qui t'ouvre la porte; je me suis rendu compte que chez toi ce regard n'a rien de conscient, qu'il n'y a en lui ni volonté, ni inclination, mais que ta tendresse pour les femmes, inconsciemment, lui donne un air doux et chaud, lorsqu'il se tourne vers elles. Mais moi — enfant de treize ans —, je ne soupçonnais pas tout cela: je fus comme plongée dans un fleuve de feu. Je crus que cette tendresse ne s'adressait qu'à moi, à moi seule; cette unique seconde suffit à éveiller la femme en l'adolescente que j'étais, et cette femme fut à toi pour toujours.

«“Qui est-ce?” - demanda mon amie. Je ne pus pas lui répondre tout de suite. Je fus incapable de dire ton nom. Dès cette première, cette unique seconde, il m'était devenu sacré, c'était mon secret.

«“Oh! un monsieur qui habite ici dans la maison, balbutiai-je ensuite maladroitement. — pourquoi donc es-tu devenue si rouge lorsqu'il t'a regardée?” railla mon amie, avec toute la cruauté d'une enfant curieuse. Et, précisément parce que je sentais que sa moquerie s'adressait à mon secret, le sang me monta aux joues avec plus de chaleur. La gêne me rendit grossière: “Petite dinde!” m'écriai-je sauvagement: j'aurais voulu l'étrangler. Mais elle se mit à rire plus fort et d'une façon plus moqueuse; je sentis les larmes me venir aux yeux de colère impuissante. Je la plantai là et montai chez moi en courant.

«C'est depuis cette seconde que je t'ai aimé. Je sais que les femmes t'ont souvent dit ce mot, à toi leur enfant chéri. Mais, crois-moi, personne ne t'a aimé aussi fort — comme une esclave, comme un chien —, avec autant de dévouement que cet être que j'étais alors et que pour toi je suis toujours restée. Rien sur la terre ne ressemble à l'amour secret d’une enfant retirée dans l'ombre; cet amour est si désintéressé, si humble, si soumis, si attentif et si passionné que jamais il ne pourra être égalé par l'amour, fait de désir et, malgré tout, exigeant, d'une femme épanouie. Seuls les enfants solitaires peuvent garder pour eux toute leur passion: les autres dispersent leur sentiment dans des bavardages et l'émoussent dans des confidences; ils ont beaucoup entendu parler de l'amour, ils l'ont retrouvé dans les livres, et ils savent que c'est une loi commune. Ils jouent avec lui comme avec un hochet; ils en tirent vanité, comme un garçon de sa première cigarette. Mais moi, je n'avais personne à qui me confier, je n'avais personne pour m'instruire et m'avertir, j'étais inexpérimentée et ignorante: je me précipitai dans mon destin comme dans un abîme.

«Tout ce qui montait et s'épanouissait dans mon être ne connaissait que toi, ne savait que rêver de toi et te prendre pour confident. Mon père était mort depuis longtemps ; ma mère m'était étrangère, avec son éternelle tristesse, écrasée par ses soucis de veuve qui n'a pour vivre que sa pension; les jeunes filles de l'école, à demi perverties déjà, me répugnaient parce qu'elles jouaient légèrement avec ce qui était pour moi la passion suprême. Aussi tout ce qui ailleurs se partage et se divise ne forma en moi qu'un bloc, et tout mon être, concentré en lui-même et toujours bouillonnant d'une ardeur inquiète, se tourna vers toi. Tu étais pour moi — comment dirai-je?

toute comparaison serait trop faible —, tu étais, précisément, tout pour moi, toute ma vie. Rien n'existait pour moi que dans la mesure où cela se rapportait à toi; rien dans mon existence n'avait de sens si cela n'avait pas de lien avec toi. Tu métamorphosas ma vie tout entière. Jusqu'alors indifférente et médiocre à l'école, je devins tout d'un coup la première de la classe; je lisais des centaines de livres et très tard dans la nuit, parce que je savais que tu aimais les livres; je commençai brusquement, au grand étonnement de ma mère, à m'exercer au piano avec une persévérance presque inconcevable, parce que je croyais que tu aimais la musique. Je pris désormais grand soin de mes vêtements et j'eus souci de ma parure uniquement pour avoir un air plaisant et soigné à tes yeux; et l'idée que ma vieille blouse de classe (c'était la transformation d'une robe d'intérieur de ma mère) avait du côté gauche un carré d'étoffe rapporté, cette idée m'était odieuse. Si, par hasard, tu voyais cette pièce, si tu me méprisais! C'est pourquoi je tenais toujours ma serviette serrée contre moi pour la cacher, quand je montais les escaliers, en courant, tremblant que tu la remarques. Cette crainte était bien insensée, car jamais, presque jamais plus tu ne m'as regardée!

«Et cependant, à vrai dire, je passais mes journées à t'attendre et à te guetter. Notre porte était percée d'un oeilleton, sorte de petite lunette de cuivre jaune par le trou rond de laquelle on pouvait voir ce qui se passait sur le palier, jusqu'à ta porte. Cette lunette — non, ne souris pas, mon bienaimé; aujourd'hui encore, je n'ai pas honte de ces heures-là! —, cette lunette était pour moi l'oeil avec lequel j'explorais l'univers; là, pendant des mois et des années, dans le vestibule glacial, craignant à chaque instant les soupçons de ma mère, j'étais assise un livre à la main, passant des aprèsmidi entiers à guetter, tendue comme une corde de violon et vibrante comme elle, quand ta présence la touchait. J'étais toujours occupée de toi, toujours en attente et en mouvement; mais tu pouvais aussi peu t'en rendre compte que de la tension du ressort de la montre que tu portes dans ta poche et qui compte et mesure patiemment dans l'ombre tes heures, accompagnant tes pas d'un battement de coeur imperceptible, alors que ton hâtif regard l'effleure à peine une seule fois parmi des millions de tic-tac répétés sans cesse. Je savais tout de toi, je connaissais chacune de tes habitudes, chacune de tes cravates, chacun de tes costumes; je connus et distinguai bientôt chacun de tes visiteurs et je les répartis en deux catégories: ceux qui m'étaient sympathiques et ceux qui m'étaient antipathiques; de ma treizième à ma seizième année, il ne s'est pas écoulé une heure que je n’aie vécue en toi. Ah! quelles folies n'ai-je pas commises alors! Je baisais le bouton de la porte que ta main avait touché, je volais le reste du cigare que tu avais jeté avant d'entrer, et il était sacré pour moi parce que tes lèvres l'avaient effleuré. Cent fois je descendis dans la rue le soir, sous n'importe quel prétexte, pour voir dans quelle pièce de ton appartement il y avait de la lumière et ainsi sentir d'une manière plus concrète ta présence, ton invisible présence. Et, pendant les semaines où tu étais en voyage — mon coeur s'arrêtait toujours de battre, quand je voyais le brave Jean descendre ton sac jaune —, pendant ces semaines-là ma vie était morte, sans objet. J'allais et venais, maussade et indifférente, et il me fallait toujours veiller à ce que ma mère ne remarquât pas mon désespoir à mes yeux rougis par les larmes.

«Je sais que je te raconte là de grotesques exaltations et de puériles folies. Je devrais en avoir honte, mais non, je n'en ai pas honte, car jamais mon amour pour toi ne fut plus pur et plus passionné que dans ces excès enfantins. Pendant des heures, pendant des journées entières je pourrais te raconter comment j'ai vécu alors avec toi, avec toi qui connaissais à peine mon visage car, lorsque je te rencontrais dans l'escalier et qu'il n'y avait pas moyen de t'éviter, je passais devant toi en courant, tête baissée, comme quelqu'un qui va se jeter à l'eau, pour éviter le feu de ton regard... Pendant des heures, pendant des journées, je pourrais te raconter ces années depuis longtemps oubliées de toi; je pourrais dérouler tout le calendrier de ta vie; mais je ne veux pas t'ennuyer, je ne veux pas te tourmenter. Je veux simplement te révéler encore le plus bel événement de mon enfance, et je te prie de ne pas te moquer de son insignifiance, car pour moi, qui étais une enfant, ce fut un infini. Ce devait être un dimanche; tu étais en voyage et ton domestique traînait les lourds tapis qu'il venait de battre, à travers la porte ouverte de ton appartement. Il peinait à la tâche, le bon vieux, et, dans un accès d'audace, j'allai à lui et lui demandai si je ne pourrais pas l'aider. Il fut surpris, mais il me laissa faire, et c'est ainsi que je vis — ah! je voudrais te dire avec quelle respectueuse et pieuse dévotion! — l'intérieur de ton appartement, ton univers, la table à laquelle tu t'asseyais pour écrire et sur laquelle il y avait quelques fleurs, dans un vase de cristal bleu, tes meubles, tes tableaux, tes livres. Ce ne fut qu'un fugitif et furtif regard jeté à la dérobée, car le fidèle Jean m'aurait certainement interdit de regarder de trop près; mais ce regard me suffit pour absorber toute l'atmosphère, et il nourrit à l'infini les rêves que tu habitais dans mes veilles comme dans mon sommeil.

«Cette rapide minute fut la plus heureuse de mon enfance. J'ai voulu te la raconter afin que toi, qui ne me connais pas, tu commences enfin à comprendre comment une vie entière s'est attachée à toi jusqu'à se perdre.

«J'ai voulu te la raconter, tout comme cette autre heure, terrible, qui, malheureusement, fut si voisine de la première. J'avais — je te l'ai déjà dit — tout oublié pour toi; je ne prêtais aucune attention à ma mère et je ne me souciais de personne. Je ne remarquais pas qu’un monsieur d'un certain âge, un commerçant d'Innsbruck, qui était, par alliance, parent éloigné de ma mère, venait souvent la voir et s'attardait volontiers; au contraire, je ne faisais que m'en réjouir, car il emmenait souvent maman au théâtre, et ainsi je pouvais être seule, penser à toi et te guetter, ce qui était ma plus haute, mon unique béatitude. Or, un jour, ma mère m'appela dans sa chambre avec une certaine gravité, en me disant qu'elle avait à me parler sérieusement. Je blêmis et mon coeur se mit soudain à battre la chamade: se douterait-elle de quelque chose? aurait-elle deviné? Ma première pensée fut pour toi, toi, le secret par lequel j'étais reliée à l'univers. Mais ma mère elle-même était embarrassée; elle m'embrassa — ce qu'elle ne faisait jamais — tendrement, une fois, deux fois; elle m'attira près d'elle sur le sofa et commença à raconter, en hésitant et d'un air gêné, que son parent, qui était veuf, l'avait

demandée en mariage et qu elle était décidée, principalement à cause de moi, à accepter. Le sang reflua violemment vers mon coeur: une seule pensée s'éleva en moi, pensée toute tournée vers toi.

«“Mais, au moins, nous restons ici? - pus-je à peine balbutier.

«— Non, nous nous installerons à Innsbruck; Ferdinand y a une belle villa.” Je n'en entendis pas davantage; mes yeux s'obscurcirent.

Ensuite j'appris que je m'étais évanouie; j'entendis ma mère raconter tout bas à mon futur beau-père, qui avait attendu derrière la porte, que j'avais reculé soudain, en étendant les mains, pour m'abattre, comme une masse de plomb. Ce qui se passa les jours suivants et comment moi, faible enfant que j'étais, je me débattis contre leur volonté supérieure, je ne parviendrai pas à te le raconter: rien que d'y penser, ma main tremble encore en t'écrivant. Comme je ne pouvais pas révéler mon véritable secret, ma résistance parut n'être que de l'entêtement, de la méchanceté et du défi. Personne ne me dit plus rien; tout se fit à mon insu. On profita des heures où j'étais à l'école pour préparer le déménagement: quand je rentrais à la maison, je remarquais jour après jour la disparition d'un nouvel objet, enlevé ou vendu. Je vis ainsi l'appartement s'en aller pièce par pièce, et ma vie en même temps; enfin, un jour où je rentrais pour déjeuner, je constatai que les déménageurs étaient venus et qu'ils avaient tout emporté. Dans les pièces vides se trouvaient les malles prêtes à partir, ainsi que deux lits de camp pour ma mère et moi: nous devions dormir là encore une nuit, la dernière, et, le lendemain, partir pour Innsbruck.

«Au cours de cette dernière journée, je sentis, avec une résolution soudaine, que je ne pouvais pas vivre sans être près de toi. Je ne vis d'autre salut que toi. Je ne pourrai jamais dire comment cette idée me vint et si vraiment j'étais capable de penser avec netteté dans ces heures de désespoir; mais brusquement — ma mère était sortie — je me levai et, telle que j'étais, en costume d'écolière, j'allai vers toi. Ou plutôt non, le mot “aller” n'est pas exact: c'est plutôt une force magnétique qui me poussa vers ta porte, les jambes raidies et les articulations tremblantes. Je viens de te le dire, je ne savais pas clairement ce que je voulais: me jeter à tes pieds et te prier de me garder comme servante, comme esclave; et je crains bien que tu ne souries de ce fanatisme innocent d'une jeune fille de quinze ans; mais, mon bien-aimé, tu ne sourirais plus si tu savais dans quel état je me trouvais alors, dehors dans le couloir glacial, raidie par la peur et cependant poussée en avant par une force extraordinaire, comment j'arrachai, pour ainsi dire, de mon corps mon bras tremblant, de telle sorte qu'il se leva et — ce fut une lutte qui dura pendant l'éternité de secondes atroces — mon doigt appuya

sur le bouton de la sonnette. Encore aujourd'hui j'ai dans l'oreille ce bruit strident, et puis le silence qui suivit, tandis que mon coeur s'était arrêté, que mon sang s'était figé dans mes veines et que je guettais seulement si tu allais venir.

«Mais tu ne vins pas. Personne ne vint. Tu étais sans doute sorti cet après-midi-là, et Jean était allé faire quelque course; je regagnais en titubant — avec, dans mes bourdonnantes oreilles, l'appel lugubre de la sonnette — notre appartement bouleversé et vide, et je me jetai, épuisée, sur une couverture de voyage, aussi fatiguée de ces quatre pas que si j'avais marché pendant des heures dans une épaisse neige. Mais sous cet épuisement brûlait encore la résolution toujours ardente de te voir et de te parler avant qu'on m'arrachât de ces lieux. Il n'y avait là, je te le jure, aucune intention charnelle; j'étais ignorante, précisément parce que je ne pensais à rien d'autre qu'à toi : je voulais seulement te voir, te voir une fois encore, me cramponner à toi. Toute la nuit, toute cette longue et effroyable nuit, mon bien-aimé, je t'ai attendu. A peine ma mère fut-elle au lit et endormie que je me glissai dans le vestibule pour t'entendre rentrer. Toute la nuit, j'ai attendu, et c'était une nuit glacée de janvier. J'étais fatiguée, mes membres me faisaient mal, il n'y avait plus de siège pour m'asseoir: alors je m'étendis sur le parquet froid où passait le courant d'air de la porte. Je restai ainsi étendue, glacée et le corps meurtri, n'ayant sur moi que mon mince vêtement, car je n'avais pas pris de couverture, je ne voulais pas avoir chaud par crainte de m'endormir et de ne pas entendre ton pas. Quelle douleur j'éprouvais! Je pressais convulsivement mes pieds l'un contre l'autre, mes bras tremblaient, et j'étais sans cesse obligée de me lever, tellement il faisait froid dans cette atroce obscurité. Mais je t'attendais, je t'attendais, je t'attendais comme mon destin...

«Enfin — il était déjà, sans doute, deux ou trois heures du matin — j'entendis en bas la porte de la rue s'ouvrir et puis des pas qui montaient l'escalier. Le froid m'avait brusquement quittée, une vive chaleur s'empara de moi, et j'ouvris doucement la porte pour me précipiter vers toi et me jeter à tes pieds... Ah! je ne sais vraiment pas ce que, folle enfant, j'aurais fait alors. Les pas se rapprochèrent, la lueur d'une bougie vacilla dans l'escalier. Je tenais en tremblant la poignée de la porte: était-ce bien toi qui venais ainsi?

«Oui, c'était toi, mon bien-aimé, mais tu n'étais pas seul. J'entendis un rire léger et joyeux, le froufrou d'une robe de soie et ta voix qui parlait bas. Tu rentrais chez toi avec une femme...

«Comment j'ai pu survivre à cette nuit, je l'ignore. Le lendemain matin, à huit heures, on m'emmena à Innsbruck; je n'avais plus la force de résister.»

 

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