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Роман «Железный король» (Le Roi de fer) на французском языке, Морис Дрюон – читать онлайн

Книга «Железный король» (Le Roi de fer) на французском языке – читать онлайн, автор – Морис Дрюон. «Железный король» (Le Roi de fer) – первая книга, которая открывает исторический цикл Мориса Дрюона «Проклятые короли». В первом романе, который называется «Железный король» (Le Roi de fer), читатели познакомятся с королём Франции Филиппом IV Красивым, которого проклял осуждённый им на смерть Великий Магистр Ордена Тамплиеров. И это проклятие продолжится на весь королевский род…

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На этой странице выложена первая глава романа, а ссылка на продолжение книги «Железный король» (Le Roi de fer) будет в конце статьи. Теперь переходим к чтению романа «Железный король» (Le Roi de fer) на французском языке.

 

Le Roi de fer

 

PROLOGUE

Au début du quatorzième siècle, Philippe IV, roi d'une beauté légendaire, régnait sur la France en maître absolu. Il avait vaincu l'orgueil guerrier des grands barons, vaincu les Flamands révoltés, vaincu l'Anglais en Aquitaine, vaincu même la Papauté qu'il avait installée de force en Avignon. Les Parlements étaient à ses ordres et les conciles à sa solde.

Trois fils majeurs assuraient sa descendance. Sa fille était mariée au roi EdouardII d1 Angleterre. Il comptait six autres rois parmi ses vassaux, et le réseau de ses alliances s'étendait jusqu'à la Russie.

Aucune richesse n'échappait à sa main. Il avait tour à tour taxé les biens de l'Église, spolié les Juifs, frappé les compagnies de banquiers lombards. Pour faire face aux besoins du Trésor, il pratiquait l'altération des monnaies. Du jour au lendemain, l'or pesait moins lourd et valait plus cher. Les impôts étaient écrasants; la police foisonnait. Les crises économiques engendraient ruines et pénuries qui, elles-mêmes, engendraient des émeutes étouffées dans le sang. Les révoltes s'achevaient aux fourches des gibets. Tout devait s'incliner, plier ou rompre devant l'autorité royale.

Mais l'idée nationale logeait dans la tête de ce prince calme et cruel pour qui la raison d'État dominait toutes les autres. Sous son règne, la France était grande et les Français malheureux.

Un seul pouvoir avait osé lui tenir tête: l'Ordre souverain des chevaliers du Temple. Cette colossale organisation, à la fois militaire, religieuse et financière, devait aux croisades, dont elle était issue, sa gloire et sa richesse.

L'indépendance des Templiers inquiétait Philippe le Bel, en même temps que leurs biens immenses excitaient sa convoitise. Il monta contre eux le plus vaste procès dont l'Histoire ait gardé le souvenir, puisque ce procès pesa sur près de quinze mille inculpés. Toutes les infamies y furent perpétrées, et il dura sept ans.

C'est au terme de cette septième année que commence notre récit.

 

LA MALEDICTION

 

I. LA REINE SANS AMOUR

Un tronc entier, couché sur un lit de braises incandescentes, flambait dans la cheminée. Les vitraux verdâtres, cloisonnés de plomb, filtraient un jour de mars avare en lumière.

Assise dans un haut siège de chêne au dossier surmonté des trois lions d'Angleterre, la reine Isabelle, le menton sur la paume, contemplait vaguement les lueurs du foyer.

Elle avait vingt-deux ans. Ses cheveux d'or, tordus en longues tresses relevées, formaient comme deux anses d'amphore.

Elle écoutait une de ses dames françaises lui lire un poème du duc Guillaume d'Aquitaine.

- D'amour ne dois plus dire bien Car je n'en ai ni peu ni rien, Car plus n'en ai qui me convient...

La voix chantante de la dame de parage se perdait dans cette salle trop grande pour que des femmes y puissent vivre heureuses.

- Il m'a toujours été ainsi. De ce que j'aime n'ai pas joui, Ne le ferai ni ne le fis...

La reine sans amour soupira.

- Que voilà donc touchantes paroles, - dit-elle, et qu'on croirait tout juste faites pour moi. Ah! le temps n'est plus où les grands seigneurs comme ce duc Guillaume étaient aussi exercés à la poésie qu'à la guerre. Quand m'avez-vous dit qu'il vivait? Deux cents années? On jugerait de ce lai qu'il est écrit d'hier. Et pour elle-même elle répéta:

- D'amour ne dois plus dire bien Car je n'en ai ni peu ni rien...

Elle demeura un moment songeuse.

- Poursuivrai-je, Madame? demanda la lectrice, le doigt posé sur la page enluminée.

- Non, ma mie, répondit la reine. Je me suis assez fait pleurer l'âme pour aujourd'hui. Elle se redressa et, changeant de ton:

- Mon cousin Monseigneur d'Artois m'a fait annoncer sa venue. Veillez à ce qu'on le conduise ici aussitôt qu'il se présentera.

- Il arrive de France? Alors vous allez être contente, Madame.

- Je souhaite l'être... si les nouvelles qu'il me porte sont bonnes.

Une autre dame de parage entra vivement, le visage animé d'un grand air de joie. Elle s'appelait de naissance Jeanne de Joinville et était l'épouse de sir Roger Mortimer, l'un des premiers barons d'Angleterre.

- Madame, Madame! s'écria-t-elle, il a parlé.

- Vraiment, Madame? répondit la reine. Et qu'a-t-il dit?

- Il a frappé la table, Madame, et il a dit: "Veux!"

Une expression d'orgueil passa sur le beau visage d'Isabelle.

- Conduisez-le devers moi, - dit-elle.

Lady Mortimer sortit, toujours courant, et revint un instant après, portant un enfant de quinze mois, rond, rosé et gras, qu'elle déposa aux pieds de la reine. Il était vêtu d'une robe grenat, brodée d'or, et fort lourde pour un si petit être.

- Alors, messire mon fils, vous avez dit: "Je veux", dit Isabelle en se penchant pour lui caresser la joue. J'aime que cela ait été votre premier mot: c'est parole de roi.

L'enfant lui souriait, en dodelinant la tête.

- Et pourquoi l'a-t-il dit? - reprit la reine.

- Parce que je lui refusais un morceau de galette, répondit lady Mortimer.

Isabelle eut un sourire vite effacé.

- Puisqu'il commence à parler, - dit-elle, je demande qu'on ne l'encourage point à bégayer et prononcer des niaiseries, comme on fait d'ordinaire avec les enfants. Peu importe qu'il dise "papa" ou "maman", je préfère qu'il connaisse les mots de "roi" et de "reine". Elle avait dans la voix une grande autorité naturelle.

- Vous savez, ma mie, - continua-t-elle, quelles raisons m'ont fait vous choisir pour gouverner mon fils. Vous êtes petite-nièce de messire Joinville le grand, qui fut à la croisade auprès de mon aïeul Monseigneur Saint Louis. Vous saurez enseigner à cet enfant qu'il est de France autant que d'Angleterre.

Lady Mortimer s'inclina. A ce moment, la première dame française revint, annonçant Monseigneur le comte Robert d'Artois.

La reine s'adossa, bien droite, à son siège et croisa les mains sur la poitrine, dans une attitude d'idole. Le souci d'être toujours royale ne parvenait pas à la vieillir.

Un pas de deux cents livres ébranla le plancher.

L'homme qui entra avait six pieds de haut, des cuisses comme des troncs de chêne, des poings comme des masses d'armes. Ses bottes rouges, de cuir cordouan, étaient souillées d'une boue mal brossée; le manteau qui lui pendait aux épaules était assez vaste pour couvrir un lit. Il suffisait qu'il eût une dague au côté pour avoir la mine de s'en aller en guerre. Dès qu'il apparaissait, tout semblait autour de lui devenir faible, fragile, friable. Il avait le menton rond, le nez court, la mâchoire large, l'estomac fort. Il lui fallait plus d'air à respirer qu'au commun des hommes. Ce géant avait vingt-sept ans, mais son âge disparaissait sous le muscle, et on lui aurait donné tout aussi bien dix années de plus.

Il ôta ses gants en s'avançant vers la reine, mit un genou en terre avec une souplesse surprenante chez un tel colosse, et se releva avant qu'on ait eu le temps de l'y inviter.

- Alors, messire mon cousin, dit Isabelle, avez-vous fait bonne traversée de mer?

- Exécrable, Madame, horrifique, - répondit Robert d'Artois. Une tempête à rendre les tripes et l'âme. J'ai cru ma dernière heure venue, au point que je me suis mis à confesser mes péchés à Dieu. Par chance il y en avait si grand nombre que le temps d'en dire la moitié, nous étions arrivés. J'en garde assez pour le retour.

Il éclata de rire, ce qui fit trembler les vitraux.

- Mais par la mordieu, - continua-t-il, je suis mieux fait pour courir les terres que pour chevaucher l'eau salée. Et si ce n'était pour l'amour de vous, Madame ma cousine, et pour les choses d'urgence que j'ai à vous dire...

- Vous permettrez que j'achève, mon cousin, dit Isabelle l'interrompant. Elle montra l'enfant.

- Mon fils commence à parler aujourd'hui.

Puis à lady Mortimer:

- J'entends qu'il soit accoutumé aux noms de sa parenté, et qu'il sache, dès que se pourra, que son grand-père Philippe est le beau roi de France. Commencez à dire devant lui le Pater et Y Ave, et aussi la prière à Monseigneur Saint Louis. Ce sont choses qu'il faut lui installer dans le cour avant même qu'il les comprenne par la raison.

Elle n'était pas mécontente de montrer à l'un de ses parents, lui-même descendant d'un frère de Saint Louis, la manière dont elle veillait à l'éducation de son fils.

- C'est bel enseignement que vous allez donner à ce jeune homme, - dit Robert d'Artois.

- On n'apprend jamais assez tôt à régner, répondit Isabelle. L'enfant s'essayait à marcher, du pas précautionneux et titubant qu'ont les bébés.

- Se peut-il que nous ayons nous-mêmes été ainsi! - dit d'Artois.

- A vous regarder, mon cousin, dit la reine en souriant, on l'imagine mal.

Un instant, contemplant Robert d'Artois, elle songea au sentiment que pouvait connaître la femme, petite et menue, qui avait engendré cette forteresse humaine ; puis elle reporta les yeux sur son fils.

L'enfant avançait, les mains tendues vers le foyer, comme s'il eût voulu saisir une flamme dans son poing minuscule.

Robert d'Artois lui barra le chemin en avançant la jambe. Nullement effrayé, le petit prince saisit cette botte rouge dont ses bras arrivaient à peine à faire le tour, et s'y assit à califourchon. Le géant se mit à balancer le pied, élevant et abaissant l'enfant qui, ravi de ce jeu imprévu, riait.

- Ah! messire Edouard, dit d'Artois, oserai-je plus tard, quand vous serez puissant seigneur, vous rappeler que je vous ai fait ainsi chevaucher ma botte?

- Vous le pourrez, mon cousin, vous le pourrez toujours, si toujours vous vous montrez notre loyal ami... Qu'on nous laisse maintenant, dit Isabelle.

- Alors, veuillez reprendre terre, messire, - dit d'Artois en posant le pied.

Les dames françaises se retirèrent dans la pièce attenante, emmenant l'enfant qui, si le destin suivait un cours naturel, deviendrait un jour le roi d'Angleterre.

D'Artois attendit un instant.

- Eh bien! Madame, - dit-il, pour parfaire les leçons que vous donnez à votre fils, vous pourrez lui enseigner que Marguerite de Bourgogne, petite-fille de Saint Louis, reine de Navarre et future reine de France, est en bon chemin d'être appelée par son peuple Marguerite la Putain.

- En vérité? - dit Isabelle. Ce que nous pensions était donc vrai?

- Oui, ma cousine. Et point seulement pour Marguerite. Pour vos deux autres belles-sours pareillement.

- Jeanne et Blanche?...

- Blanche, j'en suis assuré. Jeanne... -Robert d'Artois, de son immense main, fit un geste d'incertitude.

- Elle est plus matoise que les autres, - dit-il; mais j'ai toutes raisons de la croire aussi fieffée garce. Il bougea de trois pas, et se campa pour lancer:

- Vos trois frères sont cocus, Madame, cocus comme des manants! La reine s'était levée, les joues un peu colorées.

- Si ce que vous m'annoncez est sûr, je ne le tolérerai pas. Je ne tolérerai pas semblable honte, et que ma famille soit objet de risée.

- Les barons de France, croyez-le, ne le supporteront pas non plus.

- Avez-vous les noms, les preuves? D'Artois respira un grand coup.

- Quand vous vîntes en France, l'été passé, avec messire votre époux, pour ces fêtes qui furent données où j'eus l'honneur d'être armé chevalier en même temps que vos frères... car vous savez qu'on ne marchande pas les honneurs qui ne coûtent rien... à ce moment-là, je vous ai confié mes soupçons et vous m'avez dit les vôtres. Vous m'avez demandé de veiller et de vous renseigner. Je suis votre allié; j'ai fait l'un et je viens accomplir l'autre.

- Alors? Qu'avez-vous appris? - demanda Isabelle impatiente.

- D'abord, que certains joyaux disparaissaient de la cassette de votre douce belle-sour Marguerite. Or, quand une femme se défait secrètement de ses bijoux, c'est ou bien pour combler un galant, ou bien pour s'acheter un complice. Sa gueuserie est claire, ne trouvez-vous pas?

- Elle peut prétendre en avoir fait l'aumône à l'Église.

- Pas toujours. Pas si certain fermail, par exemple, a été échangé chez un certain marchand lombard contre un certain poignard de Damas...

- Et vous avez découvert à quelle ceinture était pendu ce poignard?

- Hélas! non, - répondit d'Artois. J'ai cherché, mais j'ai perdu la trace. Nos belles sont habiles. Je n'ai jamais couru cerfs dans mes forêts de Conches qui s'entendissent mieux à brouiller leur voie et à prendre les faux-fuyants.

Isabelle eut une mine déçue. Robert d'Artois prévint ce qu'elle allait dire en étendant les bras.

- Attendez, attendez, - s'écria-t-il. Je suis bon veneur et manque rarement mon animal d'attaque... L'honnête, la pure, la chaste Marguerite s'est fait aménager en petit logis la vieille tour de l'hôtel de Nesle, afin, selon son dire, de s'y retirer pour oraison. Mais il paraît bien qu'elle y fait oraison tout particulièrement les nuits où votre frère Louis de Navarre est absent. Et la lumière y brille assez tard. Sa cousine Blanche, parfois sa cousine Jeanne, l'y viennent rejoindre. Rouées, les donzelles! Si Ton venait à questionner Tune, elle aurait beau jeu de dire: "Comment? De quoi m'accusez-vous? Mais j'étais avec l'autre." Une femme fautive, cela se défend mal. Trois catins acoquinées, c'est un château fort. Seulement, voilà; ces mêmes nuits où Louis est absent, ces mêmes nuits où la tour de Nesle est éclairée, il se fait sur la berge, au pied de la Tour, en cet endroit ordinairement désert à pareille heure, un peu trop de mouvement. On a vu sortir des hommes qui n'étaient pas habillés en moines, et qui, s'ils venaient de chanter le salut, seraient passés par une autre porte. La cour se tait, mais le peuple commence à jaser, parce que les valets bavardent avant les maîtres...

Tout en parlant, il s'agitait, gesticulait, marchait, faisait vibrer le sol et battait l'air à grands coups de manteau. L'étalage de son excès de force était, chez Robert d'Artois, un moyen de persuasion. Il cherchait à convaincre avec ses muscles autant qu'avec ses mots; il enfermait l'interlocuteur dans un tourbillon; et la grossièreté de son langage, si bien en rapport avec toute son apparence, semblait la preuve d'une rude bonne foi. Pourtant, à y regarder de plus près, on pouvait se demander si tout ce mouvement n'était pas parade de bateleur et jeu de comédien. Une haine attentive, tenace, luisait dans ses yeux gris. La jeune reine s'appliquait à bien garder sa clarté de jugement.

- En avez-vous parlé au roi mon père? - dit-elle.

- Ma bonne cousine, vous connaissez le roi Philippe mieux que je ne le connais. Il croit tant à la vertu des femmes qu'il faudrait lui montrer vos belles-sours vautrées avec leurs galants pour qu'il consentît à m'entendre. Et je ne suis pas si bien en cour, depuis que j'ai perdu mon procès...

- Je sais, mon cousin, qu'on vous a fait tort; s'il ne tenait qu'à moi, ce tort vous serait réparé.

Robert d'Artois se précipita sur la main de la reine pour y poser les lèvres.

- Mais précisément en raison de ce procès, reprit doucement Isabelle, ne pourrait-on pas croire que vous agissez à présent par vengeance?

Le géant se redressa vivement.

- Mais bien sûr, Madame, j'agis par vengeance!

Il était d'une franchise désarmante. On pensait lui tendre un piège, le prendre en défaut, et il s'ouvrait à vous, tout largement, comme une fenêtre.

- On m'a volé l'héritage de mon comté d'Artois, - s'écria-t-il, pour le donner à ma tante Mahaut de Bourgogne... la chienne, la gueuse, qu'elle crève! Que la lèpre lui mange la bouche, que la poitrine lui

tombe en charogne! Et pourquoi a-t-on fait cela? Parce qu'à force de ruser, d'intriguer et de fourrer la paume en belles livres sonnantes aux conseillers de votre père, elle est parvenue à marier vos trois frères à ses deux catins de filles et son autre catin de cousine.

Il se mit à contrefaire un discours imaginaire de sa tante Mahaut, comtesse de Bourgogne et d'Artois, au roi Philippe le Bel.

"Mon cher seigneur, mon parent, mon compère, si nous unissions ma chère petite Jeanne à votre fils Louis? ...Non, cela ne vous convient plus. Vous préférez lui réserver Margot. Alors, donnez donc Jeanne à Philippe, et puis ma douce Blanchette à votre beau Charles. Le plaisir que ce sera qu'ils s'aiment tous ensemble! Et puis, si l'on m'accorde l'Artois qu'avait mon défunt père, alors ma Comté-Franche de Bourgogne ira à l'une de ses oiselles, à Jeanne, si vous le voulez; ainsi votre second fils devient comte palatin de Bourgogne et vous pouvez le pousser vers la couronne d'Allemagne. Mon neveu Robert? Qu'on donne un os à ce chien! Le château de Conches, la terre de Beaumont, cela suffira bien à ce rustre." Et je souffle malice dans l'oreille de Nogaret, et j'envoie mille merveilles à Marigny... et j'en marie une, et j'en marie deux, et j'en marie trois. Et pas plus tôt fait, mes petites garces se mettent à comploter, à s'envoyer messages, à se fournir d'amants, et s'emploient à bien hausser de cornes la couronne de France... Ah! si elles étaient irréprochables, Madame, je rongerais mon frein. Mais à se conduire si bassement après m'avoir autant nui, les filles de Bourgogne sauront ce qu'il en coûte, et je me vengerai sur elles de ce que la mère m'a fait.

Isabelle demeurait songeuse sous cet ouragan de paroles. D'Artois se rapprocha d'elle et, baissant la voix:

- Elles vous haïssent.

- Il est vrai que pour ma part, je ne les ai guère aimées, dès le début, et sans savoir pourquoi, - répondit Isabelle.

- Vous ne les aimez point parce qu'elles sont fausses, ne pensent qu'au plaisir et n'ont point le sens de leur devoir. Mais elles, elles vous haïssent parce qu'elles vous jalousent.

- Mon sort n'a pourtant rien de bien enviable, dit Isabelle en soupirant, et leur place me semble plus douce que la mienne.

- Vous êtes une reine, Madame; vous l'êtes dans l'âme et dans le sang; vos belles-sours peuvent bien porter la couronne, elles ne le seront jamais. C'est pour cela qu'elles vous traiteront toujours en ennemie.

Isabelle leva vers son cousin ses beaux yeux bleus, et d'Artois, cette fois, sentit qu'il avait touché juste. Isabelle était définitivement de son côté.

- Avez-vous les noms de... des hommes auxquels mes belles-sours...

Elle n'avait pas le langage cru de son cousin, et se refusait à prononcer certains mots.

- Je ne peux rien faire sans cela, poursuivit-elle. Obtenez-les, et je vous promets bien, alors, de me rendre aussitôt à Paris sous un quelconque prétexte, pour y faire cesser ce désordre. En quoi puis-je vous aider? Avez-vous prévenu mon oncle Valois?

- Je m'en suis bien gardé, - répondit d'Artois. Monseigneur de Valois est mon plus fidèle protecteur et mon meilleur ami; mais il ne sait rien taire. Il irait clabauder partout ce que nous voulons cacher; il donnerait l'éveil trop tôt, et quand nous voudrions pincer les ribaudes, nous les trouverions sages comme des nonnes...

- Que proposez-vous?

- Deux actions, - dit d'Artois. La première, c'est de nous faire nommer auprès de Madame Marguerite une nouvelle dame de parage qui soit tout à notre discrétion et qui nous puisse renseigner fidèlement. J'ai pensé à madame de Comminges qui vient d'être veuve et à qui l'on doit des égards. Pour cela, votre oncle Valois va pouvoir nous servir. Faites-lui tenir une lettre lui exprimant votre souhait. Il a grande influence sur votre frère Louis, et fera promptement entrer madame de Comminges à l'hôtel de Nesle. Nous aurons ainsi une créature à nous dans la place; et, comme nous disons entre gens de guerre, un espion dans les murs vaut mieux qu'une armée dehors.

- Je ferai cette lettre et vous l'emporterez, - dit Isabelle. Ensuite?

- Il faudrait dans le même temps endormir la défiance de vos belles-sours à votre endroit, et leur faire douce mine en leur envoyant d'aimables cadeaux, poursuivit d'Artois. Des présents qui puissent convenir aussi bien à des hommes qu'à des femmes, et que vous leur feriez parvenir secrètement, sans en avertir ni père ni époux, comme un petit mystère d'amitié entre vous. Marguerite pille sa cassette pour un bel inconnu; ce serait vraiment malchance si, la munissant d'un présent dont elle n'aura point de compte à rendre, nous ne retrouvions notre objet agrafé sur le gaillard que nous cherchons. Fournissons-les d'occasions d'imprudence.

Isabelle réfléchit une seconde, puis elle frappa des mains. La première dame française parut.

- Ma mie, - dit la reine, veuillez quérir cette aumônière que le marchand Albizzi m'a mandée ce matin.

Pendant la brève attente, Robert d'Artois sortit enfin de ses machinations et de ses complots, et prit le temps de regarder la salle où il se trouvait, les fresques religieuses peintes sur les murs, l'immense plafond boisé en forme de carène. Tout était assez neuf, triste et froid. Le mobilier était beau, mais peu abondant.

- Ce n'est guère riant, le lieu où vous vivez, ma cousine, - dit-il. On se croirait plutôt dans une cathédrale que dans un château.

- Plaise encore à Dieu, - répondit Isabelle à mi-voix, que ceci ne me devienne pas une prison. Comme la France me manque, souvent!

La dame française revint, apportant une grande bourse de soie, brodée au fil d'or et d'argent de figures en relief, et ornée au rabat de trois pierres cabochons grosses comme des noix.

- Merveille! - s'écria d'Artois. Tout juste ce qu'il nous faut. Un peu lourd pour être parure de dame, un peu léger pour moi, à qui une giberne sied mieux qu'une bougette; voilà bien l'objet qu'un jouvenceau de cour rêve de s'accrocher à la ceinture pour se faire valoir...

- Vous allez commander au marchand Albizzi, deux autres aumônières semblables, - dit Isabelle à sa suivante, et le presser de me les envoyer.

Puis, quand la dame de parage fut sortie, elle ajouta:

- Ainsi pourrez-vous, mon cousin, les rapporter en France.

- Et nul ne saura qu'elles auront passé par mes mains.

On entendit du bruit à l'extérieur, des cris et des rires. Robert d'Artois s'approcha d'une fenêtre. Dans la cour, une équipe de maçons était en train de hisser une lourde clef de voûte. Des hommes tiraient sur des cordes à poulies; d'autres, juchés sur un échafaudage, s'apprêtaient à saisir le bloc de pierre, et tout ce travail semblait s'exécuter dans une extrême bonne humeur.

- Eh bien! - dit Robert d'Artois, il paraît que le roi Edouard aime toujours la maçonnerie.

Il venait de reconnaître, parmi les ouvriers, Edouard II, le mari d'Isabelle, assez bel homme d'une trentaine d'années, aux cheveux ondulés, aux larges épaules, aux hanches souples. Ses vêtements de velours étaient souillés de plâtre.

- Il y a plus de quinze ans qu'on a commencé de rebâtir Westmoutiers! - dit Isabelle avec colère.

Comme toute la cour, elle prononçait Westmoutiers pour Westminster, à la française.

- Depuis six ans que je suis mariée, - reprit-elle, je vis dans les truelles et le mortier. On ne cesse de défaire ce qu'on a fait le mois d'avant. Ce n'est pas la maçonnerie qu'il aime, ce sont les maçons! Croyez-vous seulement qu'ils lui disent "Sire"? Ils l'appellent Edouard, ils le moquent, et lui s'en trouve ravi. Tenez, regardez-le!

Dans la cour, Edouard II donnait des ordres tout en s'appuyant à un jeune ouvrier qu'il tenait par le cou. Il régnait autour de lui une familiarité suspecte.

- Je croyais, reprit Isabelle, avoir connu le pire avec le chevalier de Gaveston. Ce Béarnais insolent et vantard gouvernait si bien mon époux qu'il s'était mis à gouverner le royaume. Edouard lui donnait tous les joyaux de ma cassette de mariage. C'est décidément une coutume dans nos familles que de voir, de façon ou d'autre, les bijoux des femmes finir en parure d'hommes!

Ayant auprès d'elle un parent, un ami, Isabelle s'abandonnait à avouer ses peines et ses humiliations. En vérité, les mours du roi Edouard II étaient connues de toute l'Europe.

- Les barons et moi, l'autre année, sommes parvenus à abattre Gaveston; il a eu la tête tranchée et je me réjouissais que son corps fût à pourrir chez les dominicains, à Oxford. Eh bien! j'en arrive, mon cousin, à regretter le chevalier de Gaveston, car, depuis, comme pour se venger de moi, Edouard attire au palais tout ce qu'il y a de plus bas et de plus infâme dans les hommes de son peuple. On le voit courir les bouges du port de Londres, s'asseoir avec les truands, rivaliser à la lutte avec les débardeurs, et à la course avec les palefreniers. Les beaux tournois, en vérité, qu'il nous donne là! Pendant ce temps, commande qui veut son royaume, pourvu qu'on organise ses plaisirs et qu'on les partage. Pour l'heure, ce sont les barons Despenser qui ont sa faveur, le père gouvernant le fils, qui sert de femme à mon époux. Quant à moi, Edouard ne m'approche plus, et s'il lui arrive de s'aventurer dans ma couche, j'en éprouve une telle honte que j'en reste toute froide.

Elle avait baissé le front.

- Une reine est la plus misérable des sujettes du royaume, si son mari ne l'aime point, ajouta-t-elle. Il suffit qu'elle ait assuré la descendance; sa vie ensuite ne compte plus. Quelle femme de baron, quelle femme de bourgeois ou de vilain supporterait ce que je dois tolérer... parce que je suis reine! La dernière lavandière du royaume a plus de droits que moi: elle peut venir me demander appui.

- Ma cousine, ma belle cousine, moi, je veux vous servir d'appui ! dit d'Artois avec chaleur.

Elle leva tristement les épaules, comme pour dire: "Que pouvez-vous pour moi?" Ils étaient face à face. Il avança les mains, la prit par les coudes, aussi doucement qu'il put, en murmurant:

- Isabelle...

Elle posa les mains sur les bras du géant. Ils se regardèrent et furent saisis d'un trouble qu'ils n'avaient pas prévu. D'Artois semblait soudain étrangement ému, et gêné d'une force qu'il craignait d'utiliser avec maladresse. Il souhaita brusquement dévouer son temps, son corps, sa vie, à cette reine fragile. Il la désirait, d'un désir immédiat et robuste, qu'il ne savait comment exprimer. Ses goûts ne le portaient pas, ordinairement, vers les femmes de qualité, et il excellait peu aux grâces de galanterie.

- Ce qu'un roi dédaigne, faute d'en reconnaître la perfection, - dit-il, bien d'autres hommes en remercieraient le ciel à deux genoux. A votre âge, si fraîche, si belle, se peut-il que vous soyez privée des joies de nature? Se peut-il que ces lèvres ne soient jamais baisées? Que ces bras... ce doux corps... Ah! prenez un homme, Isabelle, et que cet homme soit moi.

Il y allait assez rudement pour dire ce qu'il espérait, et son éloquence ressemblait peu à celle des poèmes du duc Guillaume d'Aquitaine. Mais Isabelle ne détachait pas son regard du sien. Il la dominait, l'écrasait de toute sa stature. Il sentait la forêt, le cuir, le cheval et l'armure. Il n'avait ni la voix ni l'apparence d'un séducteur, et, pourtant, elle était séduite. Il était un homme, vraiment, un mâle rude et violent, au souffle profond. Isabelle sentait toute volonté la fuir, et n'avait plus qu'une envie: appuyer sa tête à sa poitrine de buffle et s'abandonner... étancher cette grande soif... Elle tremblait un peu. Elle se dégagea d'un coup.

- Non, Robert, - s'écria-t-elle, je ne vais point faire ce que je reproche à mes belles-sours. Je ne le veux pas, je ne le dois pas. Mais quand je songe à ce que je m'impose et me refuse, alors que ces carognes, elles, ont telle chance d'être à des maris qui bien les aiment... Ah! non! Il faut qu'elles soient châtiées, fort châtiées!

Sa pensée s'acharnait sur les coupables, faute de s'autoriser à être coupable elle-même. Elle revint s'asseoir dans la grande cathèdre de chêne. Robert d'Artois la rejoignit.

- Non, Robert, - répéta-t-elle en étendant les bras. Ne profitez point de ma défaillance; vous me fâcheriez.

L'extrême beauté inspire le respect autant que la majesté; le géant obéit.

Mais l'instant écoulé ne s'effacerait plus de leur mémoire.

"Je puis donc être aimée", - se disait Isabelle, et elle en éprouvait comme de la reconnaissance pour l'homme qui venait de lui donner cette certitude.

- Était-ce là tout ce que vous aviez à m'apprendre, mon cousin, et ne m'apportez-vous pas d'autres nouvelles? - dit-elle en faisant effort pour se reprendre.

Robert d'Artois, qui se demandait s'il n'aurait pas dû poursuivre son avantage, mit un temps à répondre.

- Si, Madame, - dit-il, j'ai aussi un message de votre oncle Valois.

Le lien nouveau qui s'était noué entre eux donnait à leurs paroles une autre résonance, et ils ne pouvaient être complètement attentifs à ce qu'ils disaient.

- Les dignitaires du Temple vont être jugés bientôt, - continua d'Artois, et l'on craint fort que votre parrain, le grand-maître Jacques de Molay, ne soit mis à mort. Monseigneur de Valois vous demande d'écrire au roi pour l'inviter à la clémence.

Isabelle ne répondit pas. Elle avait repris sa pose coutumière, le menton dans la paume.

- Comme vous lui ressemblez, ainsi! - dit d'Artois.

- A qui?

- Au roi Philippe, votre père...

Elle leva les yeux et demeura songeuse.

- Ce que décide le roi mon père est bien décidé, - répondit-elle enfin. Je puis agir pour ce qui tient à l'honneur de la famille, mais non pour ce qui touche au gouvernement du royaume.

- Jacques de Molay est un vieil homme. Il fut noble et il fut grand. S'il a commis des fautes, il les a assez expiées. Rappelez-vous qu'il vous a tenue sur les fonts du baptême... Croyez-moi, c'est grand méfait qu'on va encore commettre là, et qu'on doit une fois de plus à Nogaret et à Marigny! En frappant le Temple, c'est toute la chevalerie et les hauts barons que ces hommes sortis de rien ont voulu frapper.

La reine demeurait perplexe; l'affaire visiblement la dépassait.

- Je n'en puis pas juger, - dit-elle, je n'en puis pas juger.

- Vous savez que j'ai grande dette envers votre oncle; il me saurait gré si j'obtenais cette lettre de vous. Et puis la pitié ne messied jamais à une reine; c'est sentiment de femme, et vous n'en pourrez être que louée. D'aucuns vous reprochent d'avoir le cour dur; vous leur donnerez là bonne réplique. Faites-le pour vous, Isabelle, et faites-le pour moi.

Elle lui sourit.

- Vous êtes bien habile, mon cousin Robert, sous vos airs de loup-garou. Allez, je vous ferai cette lettre que vous désirez, et vous pourrez l'emporter aussi. Quand repartirez-vous?

- Quand vous me l'ordonnerez, ma cousine.

- Les aumônières, je pense, seront livrées demain. C'est bientôt. Il y avait du regret dans la voix de la reine. Ils se regardèrent à nouveau et, à nouveau, Isabelle se troubla.

- J'attendrai un messager de vous pour savoir s'il faut me mettre en route pour la France. Adieu, mon cousin. Nous nous reverrons au souper.

D'Artois prit congé, et la pièce, après qu'il fut sorti, parut à la reine étrangement calme, comme une vallée de montagne après le passage d'une tornade. Isabelle ferma les yeux et resta un grand moment immobile.

Les hommes appelés à jouer un rôle décisif dans l'histoire des nations ignorent le plus souvent quels destins collectifs s'incarnent en eux. Les deux personnages qui venaient d'avoir cette longue entrevue, un après-midi de mars 1314, au château de Westminster, ne pouvaient pas imaginer qu'ils seraient, par l'enchaînement de leurs actes, les premiers artisans d'une guerre qui durerait, entre la France et l'Angleterre, plus de cent ans.

 

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