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Рассказ «Тигр! Тигр!» (Au tigre, au tigre!) на французском языке, Редьярд Киплинг – читать онлайн

Книга «Тигр! Тигр!» (Au tigre, au tigre!) на французском языке – читать онлайн, автор – Редьярд Киплинг. Рассказ «Тигр! Тигр!» (Au tigre, au tigre!) идёт третьим по счёту в сборнике «Книга джунглей». Маугли растёт, и решающая встреча со своим давним врагом, тигром Шер-Ханом, становится неизбежной. «Книга джунглей» была не первым произведением, которые написал Редьярд Киплинг, однако интересный сюжет и самобытность этой сказки для детей и взрослых принесла известность своему автору, и позже была переведена на многие самые распространённые языки мира (в том числе и на французский). С появлением и развитием кино по сюжету рассказов «Книги джунглей» были сняты фильмы и мультфильмы в разных странах мира в разные годы.

Другие произведения самых известных писателей всего мира можно читать онлайн в разделе «Книги на французском языке». Для детей будет интересным раздел «Сказки на французском языке».

Для тех, кто самостоятельно изучает французский язык по фильмам, создан раздел «Фильмы на французском языке с субтитрами», а для детей есть раздел «Мультфильмы на французском языке».

Для тех, кто хочет учить французский не только самостоятельно по фильмам и книгам, но и с опытным преподавателем, есть информация на странице «Французский по скайпу».

 

Теперь переходим к чтению третьего рассказа «Тигр! Тигр!» (Au tigre, au tigre!). На этой странице выложена первая половина книги, в конце страницы будет ссылка на продолжение рассказа «Тигр! Тигр!» (Au tigre, au tigre!) на французском языке.

 

Au tigre, au tigre!

 

Reviens-tu content, chasseur fier?

Frère, à l'affût j'eus froid hier.

C'est ton gibier que j'aperçois?

Frère, il broute encore sous bois.

Où donc ta force et ton orgueil?

Frère, ils ont fui mon coeur en deuil.

Si vite pourquoi donc courir?

Frère, à mon trou je vais mourir.

 

Quand Mowgli quitta la caverne du loup, après sa querelle avec le Clan au Rocher du Conseil, il descendit aux terres cultivées où habitaient les villageois, mais il ne voulut pas s'y arrêter: la Jungle était trop proche, et il savait qu'il s'était fait au moins un ennemi dangereux au Conseil. Il continua sa course par le chemin raboteux qui descendait la vallée; il le suivit au grand trot, d'une seule traite, fit environ vingt milles et parvint à une contrée qu'il ne connaissait pas. La vallée s'ouvrait sur une vaste plaine parsemée de rochers et coupée de ravins. À un bout se tassait un petit village et à l'autre la Jungle touffue s'abaissait rapidement vers les pâturages et s'y arrêtait net, comme si on l'eût tranchée d'un coup de bêche. Partout dans la plaine paissaient les boeufs et les buffles, et, quand les petits garçons chargés de la garde des troupeaux aperçurent Mowgli, ils poussèrent des cris et s'enfuirent, et les chiens parias jaunes, qui errent toujours autour d'un village hindou, se mirent à aboyer. Mowgli avança, car il se sentait grand faim, et, en arrivant à l'entrée du village, il vit le gros buisson épineux que chaque jour, au crépuscule, l'on tirait devant, poussé sur l'un des côtés.

— Hum! - dit-il, car il avait rencontré plus d'une de ces barricades dans ses expéditions nocturnes en quête de choses à manger. Alors, les hommes craignent le Peuple de la Jungle même ici!

Il s'assit près de la barrière et, au premier homme qui sortit, il se leva, ouvrit la bouche et en désigna du doigt le fond pour indiquer qu'il avait besoin de nourriture. L'homme écarquilla les yeux et remonta en courant l'unique rue du village, appelant le prêtre, gros Hindou vêtu de blanc avec une marque rouge et jaune sur le front. Le prêtre vint à la barrière et, avec lui, plus de cent personnes écarquillant aussi les yeux, pariant, criant et se montrant Mowgli du doigt.

— Ils n'ont point de façons, ces gens qu'on appelle des hommes! se dit Mowgli. Il n'y a que le singe gris capable de se conduire comme ils font.

Il rejeta en arrière ses longs cheveux et fronça le sourcil en regardant la foule.

— Qu'y a-t-il là d'effrayant? - dit le prêtre. Regardez les marques de ses bras et de ses jambes. Ce sont les morsures des loups. Ce n'est qu'un enfant-loup échappé de la Jungle.

En jouant avec lui, les petits loups avaient souvent mordu Mowgli plus fort qu'ils ne voulaient et il portait aux jambes et aux bras nombre de balafres blanches. Mais il eût été la dernière personne du monde à nommer cela des morsures, car il savait, lui, ce que mordre veut dire.

— Arré! Arré! crièrent en même temps deux ou trois femmes. Mordu par les loups, pauvre enfant! C'est un beau garçon. Il a les yeux comme du feu. Parole d'honneur, Messua, il ressemble à ton garçon qui fut enlevé par le tigre.

— Laissez-moi voir! - dit une femme qui portait de lourds anneaux de cuivre aux poignets et aux chevilles.

Et elle étendit la main au-dessus de ses yeux pour regarder attentivement Mowgli.

— C'est vrai. Il est plus maigre, mais il a tout à fait les yeux de mon garçon.

Le prêtre était un habile homme et savait Messua la femme du plus riche habitant de l'endroit. Il leva les yeux au ciel pendant une minute et dit solennellement:

— Ce que la Jungle a pris, la Jungle le rend. Emmène ce garçon chez toi, ma soeur, et n'oublie pas d'honorer le prêtre qui voit si loin dans la vie des hommes.

— Par le taureau qui me racheta! - dit Mowgli en luimême, du diable si, avec toutes ces paroles, on ne se croirait pas à un autre examen du Clan! Allons, puisque je suis un homme, il faut me conduire en homme.

La foule se dispersa en même temps que la femme faisait signe à Mowgli de venir jusqu'à sa hutte, où il y avait un lit laqué de rouge, un large récipient à grains, en terre cuite, orné de curieux dessins en relief, une demi-douzaine de casseroles en cuivre, l'image d'un dieu hindou dans une petite niche, et, sur le mur, un vrai miroir, tel qu'il s'en trouve pour huit sous dans les foires de campagne.

Elle lui donna un grand verre de lait et du pain, puis elle lui pesa la main sur la tête et le regarda au fond des yeux…

Elle pensait que peut-être c'était son fils, son fils revenu de la Jungle où le tigre l'avait emporté. Aussi lui dit-elle:

— Nathoo, Nathoo!…

Mowgli ne parut pas connaître ce nom.

— Ne te rappelles-tu pas le jour où je t'ai donné des souliers neufs?

Elle toucha ses pieds, ils étaient presque aussi durs que de la corne.

— Non, fit-elle avec tristesse, ces pieds-là n'ont jamais porté de souliers; mais tu ressembles tout à fait à mon Nathoo, et tu seras mon fils.

Mowgli éprouvait un malaise parce qu'il n'avait jamais de sa vie été sous un toit; mais, en regardant le chaume, il s'aperçut qu'il pourrait l'arracher toutes les fois qu'il voudrait s'en aller; et, d'ailleurs, la fenêtre ne fermait pas.

Puis il se dit: «À quoi bon être homme, si on ne comprend pas le langage de l'homme? À cette heure, je me trouve aussi niais et aussi muet que le serait un homme avec nous dans la Jungle. Il faut que je parle leur langue.»

Ce n'était pas seulement par jeu qu'il avait appris, pendant qu'il vivait avec les loups, à imiter l'appel du daim dans la Jungle et le grognement du marcassin. De même, dès que Messua prononçait un mot, Mowgli l'imitait à peu près parfaitement et, avant la nuit, il avait appris le nom de bien des choses dans la hutte.

Une difficulté se présenta à l'heure du coucher, parce que Mowgli ne voulait pas dormir emprisonné par rien qui ressemblât à une trappe à panthères autant que cette hutte, et, lorsqu'on ferma la porte, il sortit par la fenêtre.

— Laisse-le faire, - dit le mari de Messua. Rappelle-toi qu'il n'a peut-être jamais dormi dans un lit. S'il nous a été réellement envoyé pour remplacer notre fils, il ne s'enfuira pas.

Mowgli alla s'étendre sur l'herbe longue et lustrée qui bordait le champ; mais il n'avait pas fermé les yeux qu'un museau gris et soyeux se fourrait sous son menton.

— Pouah! grommela Frère Gris (c'était l'aîné des petits de Mère Louve). Voilà un pauvre salaire pour t'avoir suivi pendant vingt milles! Tu sens la fumée de bois et l'étable, tout à fait comme un homme, déjà… Réveille-toi, Petit Frère! j'apporte des nouvelles.

— Tout le monde va bien dans la Jungle? dit Mowgli, en le serrant dans ses bras.

— Tout le monde, sauf les loups qui ont été brûlés par la Fleur Rouge. Maintenant, écoute. Shere Khan est parti chasser au loin jusqu'à ce que son habit repousse, car il est vilainement roussi. Il jure qu'à son retour il couchera tes os dans la Waingunga.

— Nous sommes deux à jurer: moi aussi, j'ai fait une petite promesse. Mais les nouvelles sont toujours bonnes à savoir. Je suis fatigué, ce soir, très fatigué de toutes ces nouveautés. Frère Gris; mais tiens-moi toujours au courant.

— Tu n'oublieras pas que tu es un loup? Les hommes ne te le feront pas oublier? demanda Frère Gris d'une voix inquiète.

— Jamais. Je me rappellerai toujours que je t'aime, toi et tous ceux de notre caverne; mais je me rappellerai toujours aussi que j'ai été chassé du Clan.

— Et que tu peux être chassé d'un autre clan!… Les hommes ne sont que des hommes. Petit Frère, et leur bavardage est comme le babil des grenouilles dans la mare. Quand je reviendrai ici, je t'attendrai dans les bambous, au bord du pacage…

Pendant les trois mois qui suivirent cette nuit, Mowgli ne passa guère la barrière du village, tant il besognait à apprendre les us et coutumes des hommes. D'abord il eut à porter un pagne autour des reins, ce qui l'ennuya horriblement; ensuite, il lui fallut apprendre ce que c'était que l'argent, à quoi il ne comprenait rien du tout, et le labourage, dont il ne voyait pas l'utilité. Puis, les petits enfants du village le mettaient en colère. Heureusement, la Loi de la Jungle lui avait appris à ne pas se fâcher, car, dans la Jungle, la vie et la nourriture dépendent du sangfroid; mais, quand ils se moquaient de lui parce qu'il refusait de jouer à leurs jeux, comme de lancer un cerfvolant, ou parce qu'il prononçait un mot de travers, il avait besoin de se rappeler qu'il est indigne d'un chasseur de tuer des petits tout nus, pour s'empêcher de les prendre et de les casser en deux. Il ne se rendait pas compte de sa force le moins du monde. Dans la jungle, il se savait faible en comparaison des bêtes; mais, dans le village, les gens disaient qu'il était fort comme un taureau.

Il ne se faisait assurément aucune idée de ce que peut être la crainte: le jour où le prêtre du village lui déclara que, s'il volait ses mangues, le dieu du temple serait en colère, il alla prendre l'image, l'apporta au prêtre dans sa maison, et lui demanda de mettre le dieu en colère, parce qu'il aurait plaisir à se battre avec. Ce fut un scandale affreux, mais le prêtre l'étouffa, et le mari de Messua paya beaucoup de bon argent pour apaiser le dieu.

Mowgli n'avait pas non plus le moindre sentiment de la différence qu'établit la caste entre un homme et un autre homme. Quand l'âne du potier glissait dans l'argilière, Mowgli le hissait dehors par la queue; et il aidait à empiler les pots lorsqu'ils partaient pour le marché de Khanhiwara. Geste on ne peut plus choquant, attendu que le potier est de basse caste, et son âne pis encore. Si le prêtre le réprimandait, Mowgli le menaçait de le camper aussi sur l'âne, et le prêtre conseilla au mari de Messua de mettre l'enfant au travail aussitôt que possible; en conséquence, le chef du village prescrivit à Mowgli d'avoir à sortir avec les buffles le jour suivant et de les garder pendant qu'ils seraient à paître.

Rien ne pouvait plaire davantage à Mowgli; et le soir même, puisqu'il était chargé d'un service public, il se dirigea vers le cercle de gens qui se réunissaient quotidiennement sur une plate-forme en maçonnerie, à l'ombre d'un grand figuier. C'était le club du village, et le chef, le veilleur et le barbier, qui savaient tous les potins de l'endroit, et le vieux Buldeo, le chasseur du village, qui possédait un mousquet, s'assemblaient et fumaient là. Les singes bavardaient, perchés sur les branches supérieures, et il y avait sous la plate-forme un trou, demeure d'un cobra, auquel on servait une petite jatte de lait tous les soirs, parce qu'il était sacré; et les vieillards, assis autour de l'arbre, causaient et aspiraient leurs gros houkas très avant dans la nuit. Ils racontaient d'étonnantes histoires de dieux, d'hommes et de fantômes; et Buldeo en rapportait de plus étonnantes encore sur les habitudes des bêtes dans la Jungle, jusqu'à faire sortir les yeux de la tête aux enfants, assis en dehors du cercle. La plupart des histoires concernaient des animaux car, pour ces villageois, la Jungle était toujours à leur porte. Le daim et le sanglier fouillaient leurs récoltes et de temps à autre le tigre enlevait un homme, au crépuscule, en vue des portes du village. Mowgli, qui, naturellement, connaissait un peu les choses dont ils parlaient, avait besoin de se cacher la figure pour qu'on ne le vît pas rire, tandis que Buldeo, son mousquet en travers des genoux, passait d'une histoire merveilleuse à une autre plus merveilleuse encore; et les épaules de Mowgli en sautaient de gaieté.

Buldeo expliquait maintenant comment le tigre qui avait enlevé le fils de Messua était un tigre fantôme, habité par l'âme d'un vieux coquin d'usurier mort quelques années auparavant.

— Et je sais que cela est vrai, - dit-il, parce que Purun Dass boitait toujours du coup qu'il avait reçu dans une émeute, quand ses livres de comptes furent brûlés, et le tigre dont je parle boite aussi, car les traces de ses pattes sont inégales.

— C'est vrai, c'est vrai, ce doit être la vérité! approuvèrent ensemble les barbes grises.

— Toutes vos histoires ne sont-elles que pareilles turlutaines et contes de lune? - dit Mowgli. Ce tigre boite parce qu'il est né boiteux, comme chacun sait. Et parler de l'âme d'un usurier dans une bête qui n'a jamais eu le courage d'un chacal, c'est parler comme un enfant. La surprise laissa Buldeo sans parole pendant un moment, et le chef du village ouvrit de grands yeux.

— Oh, oh! C'est le marmot de jungle, n'est-ce pas? – dit enfin Buldeo. Puisque tu es si malin, tu ferais mieux d'apporter sa peau à Khanhiwara, car le gouvernement a mis sa tête à prix pour cent roupies… Mais tu ferais encore mieux de te taire quand tes aînés parlent!

Mowgli se leva pour partir.

— Toute la soirée, je suis resté là vous écoutant, jeta-t-il par-dessus son épaule, et, sauf une ou deux fois, Buldeo n'a pas dit un mot de vrai sur la Jungle, qui est à sa porte… Comment croire, alors, ces histoires de fantômes, de dieux et de daims qu'il prétend avoir vus?

— Il est grand temps que ce garçon aille garder les troupeaux! dit le chef du village, tandis que Buldeo soufflait et renâclait de colère, devant l'impertinence de Mowgli. Selon la coutume de la plupart des villages hindous, quelques jeunes pâtres emmenaient le bétail et les buffles de bonne heure, le matin, et les ramenaient à la nuit tombante; et les mêmes bestiaux qui fouleraient à mort un homme blanc se laissent battre, bousculer et ahurir par des enfants dont la tête arrive à peine à la hauteur de leur museau. Tant que les enfants restent avec les troupeaux, ils sont en sûreté, car le tigre lui-même n'ose charger le bétail en nombre; mais, s'ils s'écartent pour cueillir des fleurs ou courir après les lézards, il leur arrive d'être enlevés. Mowgli descendit la rue du village au point du jour, assis sur le dos de Rama, le grand taureau du troupeau; et les buffles bleu ardoise, avec leurs longues cornes traînantes et leurs yeux hagards, se levèrent de leurs étables, un par un, et le suivirent; et Mowgli, aux enfants qui l'accompagnaient, fit voir très clairement qu'il était le maître. Il frappa les buffles avec un long bambou poli, et dit à Kamya, un des garçons, de laisser paître le bétail tandis qu'il allait en avant avec les buffles et de prendre bien garde à ne pas s'éloigner du troupeau.

Un pâturage indien est tout en rochers, en mottes, en trous et en petits ravins, parmi lesquels les troupeaux se dispersent et disparaissent. Les buffles aiment généralement les mares et les endroits vaseux, où ils se vautrent et se chauffent, dans la boue chaude, durant des heures. Mowgli les conduisit jusqu'à la lisière de la plaine, où la Waingunga sortait de la Jungle; là, il se laissa glisser du dos de Rama, et s'en alla trottant vers un bouquet de bambous où il trouva Frère Gris.

— Ah! - dit Frère Gris, je suis venu attendre ici bien des jours de suite. Que signifie cette besogne de garder le bétail?

— Un ordre que j'ai reçu, - dit Mowgli; me voici pour un temps berger de village. Quelles nouvelles de Shere Khan?

— Il est revenu dans le pays et t'a guetté longtemps par ici. Maintenant, il est reparti, car le gibier se fait rare. Mais il veut te tuer.

— Très bien, fit Mowgli. Aussi longtemps qu'il sera loin, viens t'asseoir sur un rocher, toi ou l'un de tes frères, de façon que je puisse vous voir en sortant du village. Quand il reviendra, attends-moi dans le ravin proche de l'arbre dhâk, au milieu de la plaine. Il n'est pas nécessaire de courir dans la gueule de Shere Khan.

Puis Mowgli choisit une place à l'ombre, se coucha et dormit pendant que les buffles paissaient autour de lui. La garde des troupeaux, dans l'Inde, est un des métiers les plus paresseux du monde. Le bétail change de place et broute, puis se couche et change de place encore, sans mugir presque jamais. Il grogne seulement. Quant aux buffles, ils disent rarement quelque chose, mais entrent l'un après l'autre dans les mares bourbeuses, s'enfoncent dans la boue jusqu'à ce que leurs mufles et leurs grands yeux bleu faïence se montrent seuls à la surface, et là, ils restent immobiles, comme des blocs. Le soleil fait vibrer les rochers dans la chaleur de l'atmosphère et les petits bergers entendent un vautour — jamais plus — siffler presque hors de vue au-dessus de leur tête; et ils savent que s'ils mouraient, ou si une vache mourait, ce vautour descendrait en fauchant l'air, que le plus proche vautour, à des milles plus loin, le verrait choir et suivrait, et ainsi de suite, de proche en proche, et qu'avant même qu'ils fussent morts, il y aurait là une vingtaine de vautours affamés venus de nulle part.

Tantôt ils dorment, veillent, se rendorment; ils tressent de petits paniers d'herbe sèche et y mettent des sauterelles, ou attrapent deux mantes religieuses pour les faire lutter; ils enfilent en colliers des noix de jungle rouges et noires, guettent le lézard qui se chauffe sur la roche ou le serpent à la poursuite d'une grenouille près des fondrières. Tantôt ils chantent de longues, longues chansons avec de bizarres trilles indigènes à la chute des phrases, et le jour leur semble plus long qu'à la plupart des hommes la vie entière; parfois ils élèvent un château de boue avec des figurines d'hommes, de chevaux, de buffles, modelées en boue également, et placent des roseaux dans la main des hommes, et prétendent que ce sont des rois avec leurs armées ou les dieux qu'il faut adorer. Puis le soir vient, les enfants rassemblent les bêtes en criant, les buffles s'arrachent de la boue gluante avec un bruit semblable à des coups de fusil partant l'un après l'autre, et tous prennent la file à travers la plaine grise pour retourner vers les lumières qui scintillent là-bas au village.

Chaque jour, Mowgli conduisait les buffles à leurs marécages et chaque jour il voyait le dos de Frère Gris à un mille et demi dans la plaine — il savait ainsi que Shere Khan n'était pas de retour — et chaque jour il se couchait sur l'herbe, écoutant les rumeurs qui s'élevaient autour de lui et rêvant aux anciens jours de la Jungle. Shere Khan aurait fait un faux pas de sa patte boiteuse, là-haut dans les fourrés, au bord de la Waingunga, que Mowgli l'eût entendu par ces longs matins silencieux.

Un jour enfin, il ne vit pas Frère Gris au poste convenu. Il rit et dirigea ses buffles vers le ravin proche de l'arbre dhâk, que couvraient tout entier des fleurs d'un rouge doré. Là se tenait Frère Gris, chaque poil du dos hérissé.

— Il s'est caché pendant un mois pour te mettre hors de tes gardes. Il a traversé les champs, la nuit dernière, avec Tabaqui, et suivi ta voie chaude, fit le loup haletant. Mowgli fronça les sourcils:

— Je n'ai pas peur de Shere Khan, mais Tabaqui sait plus d'un tour!

— Ne crains rien, - dit Frère Gris en se passant légèrement la langue sur les lèvres, j'ai rencontré Tabaqui au lever du soleil; il enseigne maintenant sa science aux vautours… Mais il m'a tout raconté, à moi, avant que je lui casse les reins. Le plan de Shere Khan est de t'attendre à la barrière du village, ce soir… de t'attendre, toi, et personne d'autre. En ce moment, il dort dans le grand ravin desséché de la Waingunga.

— A-t-il mangé aujourd'hui, ou chasse-t-il à vide? - fit Mowgli.

Car la réponse, pour lui, signifiait vie ou mort.

— Il a tué à l'aube… un sanglier… et il a bu aussi…

Rappelle-toi que Shere Khan ne peut jamais rester à jeun, même lorsqu'il s'agit de sa vengeance.

— Oh! le fou, le fou! Quel triple enfant cela fait!…

Mangé et bu! Et il se figure que je vais attendre qu'il ait dormi!… À présent, où est-il couché, là-haut? Si nous étions seulement dix d'entre nous, nous pourrions en venir à bout tandis qu'il est couché. Mais ces buffles ne chargeront pas sans l'avoir éventé, et je ne sais pas leur langage. Pouvons-nous le tourner et trouver sa piste en arrière, de façon qu'ils puissent la flairer?

— Il a descendu la Waingunga à la nage, de très loin en amont, pour couper la voie, - dit Frère Gris.

— C'est Tabaqui, j'en suis sûr, qui lui aura donné l'idée!

Il n'aurait jamais inventé cela tout seul.

Mowgli se tenait pensif, un doigt dans la bouche:

— Le grand ravin de la Waingunga…, il débouche sur la plaine à moins d'un demi-mille d'ici. Je peux tourner à travers la Jungle, mener le troupeau jusqu'à l'entrée du ravin, et alors, en redescendant, balayer tout… mais il s'échappera par l'autre bout. Il nous faut boucher cette issue. Frère Gris, peux-tu me rendre le service de couper le troupeau en deux?

— Pas tout seul… peut-être… mais j'ai amené du renfort, quelqu'un de rusé.

Frère Gris s'éloigna au trot et se laissa tomber dans un trou. Alors, de ce trou, se leva une énorme tête grise que Mowgli reconnut bien, et l'air chaud se remplit du cri le plus désolé de la Jungle…, le hurlement de chasse d'un loup en plein midi.

— Akela! Akela! - dit Mowgli en battant des mains.

J'aurais dû savoir que tu ne m'oublierais pas… Nous avons de la besogne sur les bras! Coupe le troupeau en deux, Akela. Retiens les vaches et les veaux d'une part et les taureaux de l'autre avec les buffles de labour.

Les deux loups traversèrent en courant, de-ci, de-là, comme à la chaîne des dames, le troupeau qui s'ébroua, leva la tête et se sépara en deux masses.

D'un côté, les vaches, serrées autour de leurs veaux, qui se pressaient au centre, lançaient des regards furieux et piaffaient, prêtes, si l'un des loups s'était arrêté un moment, à le charger et à l'écraser sous leurs sabots. De l'autre, les taureaux adultes et les jeunes s'ébrouaient aussi et frappaient du pied, mais, bien qu'ils parussent plus imposants, ils étaient beaucoup moins dangereux, car ils n'avaient pas de veaux à défendre. Six hommes n'auraient pu partager le troupeau si nettement.

— Quels ordres? haleta Akela. Ils essaient de se rejoindre.

Mowgli se hissa sur le dos de Rama:

— Chasse les taureaux sur la gauche, Akela. Frère

Gris, quand nous serons partis, tiens bon ensemble les vaches et fais-les remonter par le débouché du ravin.

— Jusqu'où? - dit Frère Gris, haletant et mordant de droite et de gauche.

— Jusqu'à ce que les côtés s'élèvent assez pour que Shere Khan ne puisse les franchir! cria Mowgli. Garde-les jusqu'à ce que nous redescendions.

Les taureaux décampèrent aux aboiements d'Akela, et Frère Gris s'arrêta en face des vaches. Elles foncèrent sur lui, et il fuit devant elles jusqu'au débouché du ravin, tandis qu'Akela chassait les taureaux loin sur la gauche.

— Bien fait! Un autre temps de galop comme celui-là et ils sont joliment lancés… Tout beau, maintenant, tout beau, Akela! Un coup de dent de trop et les taureaux chargent… Huyah! C'est de l'ouvrage plus sûr que de courre un daim noir. Tu n'aurais pas cru que ces lourdauds pouvaient aller si vite? - cria Mowgli.

— J'ai… j'en ai chassé dans mon temps, souffla Akela dans un nuage de poussière. Faut-il les rabattre dans la Jungle?

— Oui! Rabats-les bien vite! Rama est fou de rage.

Oh! si je pouvais seulement lui faire comprendre ce que je veux de lui maintenant.

 

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